L’OFFICE DU JUGE CONCERNANT L’ASTREINTE
Publié le :
12/12/2022
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Une astreinte peut se définir comme une condamnation pécuniaire prononcée par un juge accessoirement à une condamnation principale, qu’elle soit à faire, à ne pas faire ou à payer, aux fins de faire pression sur le débiteur et de l’inciter à exécuter une décision de justice le condamnant.
En cas d’inexécution, l’astreinte peut, aux termes de l’article L 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, être liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a pu rencontrer dans l’exécution.
Cet article dispose : « Le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressé et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. Le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation. L’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère ».
La jurisprudence de la cour de cassation faisait jusqu’à récemment une interprétation stricte de ces critères, limitant ainsi l’office du juge saisi d’une demande de liquidation d’astreinte en ce sens qu’il ne peut réduire ce montant qu’en considération du comportement du débiteur et des difficultés d’exécution rencontrées par ce dernier.
Par deux arrêts rendus le 20 janvier 2022 (n° 19-23.721 et n° 20-15.261), la deuxième chambre civile de la cour de cassation a considérablement élargi les bases de cet office du juge fixant ou liquidant une astreinte, ce au visa de l’article L 131-4 du code des procédures civiles d’exécution « tel qu’interprété à la lumière de l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » qui pose pour principe que toute personne a droit au respect de ses biens.
La cour de cassation constate que l’astreinte, dans la mesure où elle entraîne, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire du débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle en tire la conclusion que cette mesure entre dans le champ d’application de la protection des biens garantie par le Protocole n° 1 et que, en conséquence, le juge qui statue sur la liquidation d’une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit.
La cour de cassation rappelle que l’astreinte ne constitue pas en elle-même une mesure contraire aux exigences du Protocole n° 1 en ce qu’elle tend, dans un objectif de bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à la liquider en cas d’inexécution de l’obligation principale de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de la respecter. Elle ajoute cependant qu’« il n’en appartient pas moins au juge saisi d’apprécier encore, de manière concrète, s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l’astreinte et l’enjeu du litige » (cour de cassation 2ème chambre civile 20 janvier 2022 n° 20-15.261).
La cour de cassation érige ainsi clairement le contrôle de proportionnalité en critère qui doit être pris en considération par le juge saisi d’une demande de liquidation d’astreinte.
Ce critère permet au juge d’intégrer des considérations complémentaires pour ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les droits fondamentaux du débiteur alors que la seule prise en compte des critères énoncés par l’article L 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, à savoir les difficultés rencontrées par le débiteur de l’obligation assortie de l’astreinte et sa bonne volonté, ne suffisent pas à prévenir le prononcé de décisions de liquidation d’astreinte à des montants manifestement excessifs, au regard notamment de l’objectif contraignant et non pas punitif de la mesure d’exécution.
Pour illustrer de façon concrète les implications de cette évolution de la jurisprudence de la cour de cassation, il peut être relevé que par le premier de ses arrêts ( n° 20-15.261), la cour de cassation a censuré un arrêt qui, pour liquider une astreinte provisoire à 1.020.000 €, avait refusé d’admettre comme cause de minoration de l’astreinte la disproportion flagrante entre la somme réclamée et l’enjeu du litige qui opposait le syndicat Suf rail et la Société Fret SNCF.
Par le second (n° 19-23.721), la cour suprême a cassé un arrêt qui, pour liquider une astreinte à la somme de 516.000 €, s’était contenté de retenir qu’un assureur, débiteur d’une injonction de communication de documents, ne démontrait pas avoir rencontré des difficultés ou s’être heurté à une cause étrangère, sans répondre aux conclusions de cet assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation et le bénéfice attendu.
Ces deux cassations ont intervenues au visa de l’article L 131-4 du code des procédures civiles d’exécution et du Protocole n° 1.
Au contraire, par un troisième arrêt du même jour (20 janvier 2022 n° 19-22.435) la 2ème chambre civile de la cour de cassation a approuvé des juges du fond qui ont pris en compte, pour liquider une astreinte, le comportement des débiteurs de l’obligation, les difficultés auxquelles ils s’étaient heurtés pour l’exécuter, et, se sont assurés que le montant liquidé était proportionné à l’enjeu du litige « afin d’éviter, par le prononcé d’une condamnation quasi confiscatoire, une atteinte injustifiée au droit de propriété du débiteur ».
La cour de cassation précise par cet arrêt que les facultés financières du débiteur n’ont pas à être prises en considération dans le cadre de ce contrôle de proportionnalité.
Historique
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