ORGANISATION JURIDICTIONNELLE DE LA FRANCE
Publié le :
01/08/2022
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Le but de cet exposé est de présenter de façon synthétique le mode d’organisation et de répartition des juridictions en France.
Je me limiterai à la justice étatique interne, ce qui exclut, d’une part les arbitres auxquels les particuliers peuvent convenir de soumettre leurs litiges plutôt qu’aux tribunaux, mais surtout les juridictions internationales dont la Cour de Justice de l’Union Européenne et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Il faut cependant avoir conscience que cette dernière, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, a une importance et une influence très importantes dans la mesure où elle est chargée de faire appliquer et de faire respecter la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, instrument juridique international fondamental dont l’effet direct est reconnu dans l’ordre juridique interne français et dont les dispositions ont une force supérieure aux dispositions du droit national en vertu de l’article 55 de la constitution française du 4 octobre 1958 qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
En application de cette disposition constitutionnelle, et eu égard à l’effet direct reconnu à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, les juridictions françaises, qu’elles appartiennent à l’ordre judiciaire ou à l’ordre administratif, sont chargées d’appliquer et de faire respecter ses dispositions, au besoin en écartant l’application de dispositions législatives ou réglementaires qui seraient considérées comme ne les respectant pas, en procédant à ce que l’on appelle un contrôle de conventionnalité (exemple actuel des débats sur la conformité ou pas du barème Macron à certaines dispositions de conventions internationales, la convention n° 158 de l’OIT et l’article 21 de la Charte Sociale Européenne).
Si l’on fait abstraction de l’ordre dit constitutionnel, les juridictions nationales se répartissent entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
Cette distinction recoupe la distinction fondamentale du droit interne, celle qui sépare la droit public et le droit privé. De toutes les ramifications du droit, c’est la plus ancienne et la plus importante.
Montesquieu exposait déjà la distinction en définissant le droit public (appelé par lui « droit politique ») comme « les lois dans le rapport qu’ont ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés » et le droit privé (pour lui « droit civil ») comme « les lois dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux ».
Quand on parle de Montesquieu, on pense à la théorie de la séparation des pouvoirs qu’on lui attribue : pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire. On déduit de cette théorie que le juge judiciaire ne peut juger les actes de l’administration et des personnes morales de droit public (Etat, région, département, communes, établissements publics. On en déduit que, quand un litige survient entre deux administrations entre elles ou, ce qui est le cas le plus courant, entre un particulier et l’administration, c’est une juridiction de l’ordre administratif qui sera compétente.
Cela étant, on aurait parfaitement pu concevoir que les juridictions de l’ordre judiciaire, autrement dit le pouvoir judiciaire (rabaissé au rang de simple autorité dans la constitution du 4 octobre 1958 : article 64 : « Le Président de la République est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ») soient appelées à juger l’administration si celle-ci violait la loi et portait de la sorte atteinte aux droits des particuliers. Cela n’aurait pas été contraire en soi au principe de séparation des pouvoirs.
C’est une loi des 16-24 août 1790 qui a posé le principe de séparation des fonctions judiciaires et administratives, notamment en interdisant aux juges (sous-entendu de l’ordre judiciaire) de juger l’administration. Cela avait pour conséquence de faire échapper les actes de l’administration à tout contrôle juridictionnel ce qui sera le cas jusqu’en 1872, année qui verra la naissance d’une véritable juridiction administrative.
J’évoquerai l’ordre administratif dans un second temps.
Il est en effet plus logique de commencer par évoquer les juridictions de l’ordre judiciaire qui peuvent être considérées comme les juridictions de droit commun, celles qui constituent le pouvoir judiciaire au sens de la théorie de la séparation des pouvoirs et l’autorité judiciaire au sens de la constitution de la Vème république.
I) LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE JUDICIAIRE
a) Le Tribunal Judiciaire
En France, le Tribunal Judiciaire est la juridiction de droit commun, par opposition aux juridictions d’exception, de première instance. Créé en 1958 sous la forme du Tribunal de Grande Instance, il a été renommé Tribunal Judiciaire le 1er janvier 2020.Il connaît, comme juridiction de droit commun, des litiges qui ne sont pas spécialement attribués à une autre juridiction.
Au 1er janvier 2020, il existe 164 Tribunaux Judiciaires (181 Tribunaux de Grande Instance avant la réforme de la carte judiciaire de juillet 2007).
Il s’agit d’une formation collégiale (3 magistrats professionnels) et la représentation par avocat est obligatoire sauf exceptions (référés dans certains cas et juge aux affaires familiales hors divorce).
Au 1er janvier 2020, l’ancien Tribunal d’Instance a été remplacée par le Tribunal de proximité qui est en fait une chambre du tribunal judiciaire située en dehors de son siège (exemples pour le Tribunal Judiciaire de Boulogne su Mer : 2 Tribunaux de proximité à Calais et Montreuil sur Mer).
Il juge toutes les affaires pour lesquelles la demande porte sur des sommes inférieures à 10.000 €. Il a par ailleurs une compétence exclusive (quel que soit le montant des demandes) en matière de tutelles, de baux d’habitation, de crédits à la consommation et de surendettement (siège alors comme juge des contentieux de la protection).
C’est une juridiction à juge unique (magistrat professionnel) devant laquelle la représentation par avocat n’est pas obligatoire.
b) Le Conseil des Prud’Hommes
Cette juridiction est ancienne puisqu’elle a été créée en 1806. Elle a pour mission de concilier ou à défaut de juger les litiges individuels du travail.C’est une juridiction paritaire depuis 1848 : chaque formation comprend des conseillers prud’hommes salariés et employeurs en nombre égal.
Le Conseil des Prud’hommes est divisé en sections (encadrement, commerce, industrie, agriculture, activités diverses).
Jusqu’à une date récente, les conseillers prud’hommes étaient élus sur des listes syndicales par des gens du monde syndical.
Une ordonnance du 31 mars 2016 a remplacé l’élection par une nomination par arrêté conjoint des ministres de la justice et du travail, nomination intervenant sur proposition des organisations syndicales de salariés et professionnelles d’employeurs à proportion de leurs niveaux respectifs de représentativité.
La raison d’être de cette juridiction est de rapprocher la justice du justiciable dans le domaine du travail salarié, d’appliquer les usages professionnels nombreux, d’être mieux à même de réaliser des conciliations et d’être davantage en mesure, par leur composition, de résoudre des conflits nés dans le cadre des entreprises.
A noter que quand les conseillers prud’homaux ne parviennent pas à trancher un litige (égalité de voix), le conseil siège à nouveau en formation dite de départage, un magistrat professionnel appelé juge départiteur siégeant en sus des 4 conseillers.
c) Le Tribunal de commerce
Les juridictions commerciales sont anciennes puisque le premier Tribunal de commerce a été créé par un édit de 1563. D’abord limitées à Paris, ces juridictions se sont étendues à de nombreuses autres villes.Il en existe aujourd’hui 134 (un à Boulogne sur Mer).
Ils sont composés de juges non professionnels élus.
Ils sont compétents principalement pour les contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans (à compter du 01/01/2022) et pour les contestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
d) Les juridictions répressives
Les juridictions répressives sont chargées de juger les auteurs d’infraction.- Le Tribunal de Police juge les auteurs de contraventions (juge unique ; chambre du Tribunal de Proximité).
- Le Tribunal correctionnel juge les auteurs de délits (formation collégiale ; chambre du Tribunal judiciaire).
- La Cour d’assises juge les auteurs de crimes (une par département ; particularité : comprend un jury populaire composé de citoyens tirés au sort).
Une des particularités du système juridictionnel français tient à l’existence du juge d’instruction.
L’instruction (phase préparatoire ou d’enquête du procès pénal) est obligatoire pour les crimes, facultative pour les délits et contraventions.
Le juge d’instruction est un juge enquêteur dont le rôle est de rechercher la vérité : il instruit à charge et à décharge et dispose de moyens et prérogatives importants. Il ne peut cependant plus, depuis 2000, placer la personne mise en examen en détention provisoire, rôle dévolu au Juge des Libertés et de la Détention.
A noter que la personne mise en examen reste présumée innocente, la décision de mise en examen étant prise au vu d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la commission d’une infraction.
A l’issue de l’instruction, le juge renvoie l’affaire devant la juridiction de jugement (transmission à la chambre de l’instruction si il s’agit d’un crime) ou rend une ordonnance de non lieu si les charges apparaissent insuffisantes.
D’autres juridictions spécialisées existent comme le tribunal paritaire des baux ruraux ou le pôle social du Tribunal Judiciaire (ancien Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale).
e) Les juridictions compétentes pour examiner les recours
Les décisions de ces différentes juridictions sont, sous certaines conditions (décisions en premier ressort), susceptibles d’être soumises par un justiciable mécontent à un second juge. C’est la voie de recours dite de l’appel qui s’effectue devant la Cour d’Appel qui réexaminera l’ensemble de l’affaire, en fait comme en droit.Les Cours d’Appel sont au nombre de 36 dont 30 en France métropolitaine. Pour nous : Douai.
Contre les décisions rendues en dernier ressort( jugements de tribunaux statuant en dernier ressort ou arrêts de Cour d’appel), il existe une voie de recours dite extraordinaire : le pourvoi en cassation. Cette voie de recours est différente de l’appel. La cour de cassation ne rejuge pas l’affaire. Elle va seulement dire si les juges ont fait une bonne ou une mauvaise application de la règle de droit.
La Cour de cassation, juridiction unique, est la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Son rôle et sa fonction sont de veiller à l’interprétation unique de la règle de droit par les juridictions inférieures dites juridictions du fond.
Elle est divisée en 6 chambres : une chambre criminelle, une chambre sociale, ne chambre commerciale et trois chambres civiles.
Saisie d’un pourvoi, si la Cour de cassation estime que la décision attaquée a correctement appliqué la règle de droit, elle rendra un arrêt de rejet.
Si au contraire elle estime que la critique est justifiée, elle rendra un arrêt de cassation et renverra l’affaire devant une juridiction de même nature et de même degré que celle dont la décision a été cassée.
C’est précisément parce que la Cour de cassation est juge du droit et non du fait et qu’elle ne rend donc pas de décision sur le fond, qu’en cas de cassation elle renvoie.
II) LES JURIDICTIONS DE L’ORDRE ADMINISTRATIF
Je vous ai exposé que, en vertu de la loi des 16 et 24 août 1790, les actes de l’administration ont échappé, à compter de son entrée en vigueur, à tout contrôle juridictionnel (avant les intendants étaient compétents avec appel devant le Conseil du Roi).La Révolution a exclu les tribunaux judiciaires du contentieux administratif mais elle n’a pas pour autant créé et organisé des tribunaux administratifs.
Elle adopte le système de l’administration-juge
La constitution du 22 frimaire an VIII (consulat de 1799) va certes instituer le Conseil d’État, mais, comme le laisse supposer l’appellation, il s’agissait d’une institution appelée à conseiller les autorités gouvernementales dans la prise des décisions administratives, y comoris pour les litiges dont les ministres étaient saisis.
Il y avait donc une confusion initiale des pouvoirs d’administration et de juridiction.
En cas de recours d’un administré, celui-ci pouvait s’adresser au supérieur hiérarchique de l’auteur d’un acte administratif litigieux, ce qui, de degré en degré permettait de remonter au ministre.
C’est ce que l’on a appelé la théorie du ministre-juge ce qui aboutissait, s’agissant des actes de l’administration, à la confusion des fonctions d’administrateur et de juge.
Le Conseil d’État n’était initialement investi que du pouvoir de donner son avis au ministre sur la décision que celui-ci pouvait être appelé à prendre en cas de recours d’un administré. Le Conseil d’État n’était qu’un donneur d’avis ; c’est le ministre qui jugeait, la décision étant d’ailleurs prise sous forme d’un décret et non d’un jugement à proprement parler.
Ce n’est que par une loi du 24 mai 1872 que le Conseil d’État est devenue une véritable juridiction.
L’article 9 de cette loi dispose que « Le Conseil d’État statue souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes des diverses autorités administratives ».
Depuis cette loi, on peut parler d’une véritable juridiction administrative en France et donc de deux ordres de juridictions distincts.
Dans la foulée, par un arrêt de 1873 (Blanco), le Tribunal des conflits (créé par la loi de 1872) posait pour principe que « l’administration ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil pour les rapports de particulier à particulier » ; « elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés ».
Il résulte de ces évolutions que, contrairement à la tradition juridique anglo-saxonne, l’administration française relève tant du contrôle de juridictions spécifiques, que d’un régime juridique spécifique, le droit administratif.
Concernant ces juridictions spécifiques, un décret du 30 septembre 1953 a, pour porter remède à l’encombrement du Conseil d’État, créé les tribunaux administratifs et a fait de ceux-ci, au premier degré, les juridictions de droit commun en matière administrative.
Il existe 42 tribunaux administratifs dont 31 en métropole. Le ressort d’un tribunal administratif varie entre 1 à 5 départements.
Toujours pour remédier à l’encombrement du Conseil d’État, une loi du 31 décembre 1987 a institué des cours administratives d’appel au nombre de 5. Il en existe 8 à présent (Douai pour nous).
La Cour administrative d’appel est la juridiction de droit commun de second degré et est compétente pour statuer sur les appels formés contre les jugements du tribunal administratif, sauf exceptions pour lesquelles le Conseil d’État est juge d’appel (contentieux des élections municipales .
Le Conseil d’État reste juge de premier et dernier ressort pour certaines affaires limitativement énumérés, notamment les recours dirigés contre les ordonnances du président de la république, les décrets et contre les actes réglementaires des ministres.
Il peut surtout se prononcer comme juge de cassation. Son rôle est alors comparable à celui de la cour de cassation. Le Conseil d’État peut alors casser la décision qui lui est déférée avec renvoi ou régler l’affaire au fond.
Un point intéressant à relever est la différence de conception des sources du droit entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
Alors que dans l’ordre judiciaire, la jurisprudence n’est pas, officiellement une source du droit (prohibition des arrêts dits de règlement : article 5 du code civil : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises »), la jurisprudence administrative est la source essentielle du droit administratif.
C’est ainsi que le juge administratif fait application, pour apprécier la légalité des actes de l’administration, des traités internationaux et des lois, mais également de principes non écrits que l’on appelle les Principes Généraux du Droit.
Il s’agit de règles dégagées par la jurisprudence dont le respect s’impose aux autorités administratives.
Cette particularité du droit administratif provient du fait qu’il n’existe pas de code de droit administratif qui serait un équivalent du code civil de 1804 pour le droit privé, ce qui a laissé une grande liberté de création au juge administratif, le Conseil d’État essentiellement.
D’une certaine façon, elle rapproche le droit administratif du droit anglo-saxon qui accorde une place très importante à la jurisprudence (common law).
Historique
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