MODIFICATION DE L’ASSIETTE D’UNE SERVITUDE DE PASSAGE A LA DEMANDE DU PROPRIETAIRE DU FONDS SERVANT
Publié le :
03/06/2024
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L’article 637 du code civil définit la servitude comme une charge imposée à un immeuble, que l’on appelle le fonds servant, au profit d’un autre immeuble, que l’on appelle le fonds dominant.
On peut donner pour exemple la servitude conventionnelle de passage qui doit être distinguée du droit légal de passage en cas d’enclave : un fonds A et un fonds B donnent chacun sur la voie publique, mais une voie publique différente. Il n’y a pas de situation d’enclave et donc pas de droit légal de passage.
Mais le fonds A est divisé en deux lots (qui peuvent être une maison et un jardin) que sépare le fonds B. Il serait commode pour le propriétaire du fonds A, fonds dominant, d’avoir un droit de passage sur le fonds B, fonds servant, ce qui lui permettrait d’aller de la maison au jardin en traversant le fonds B sans avoir à faire un détour par la voie publique.
Cette servitude qui permet une utilisation plus commode et plus rationnelle du fonds A ne résulte pas de la loi mais peut résulter de la convention. C’est une servitude qui permet à son bénéficiaire d’utiliser le fonds d’autrui pour y passer.
Le propriétaire du fonds dominant peut librement user de la servitude. C’est le titre de la servitude qui en détermine l’usage et l’étendue (article 686 du code civil).
La loi attache, d’une manière générale, un caractère de fixité aux servitudes.
Ainsi, l’article 701 alinéa 1 du code civil interdit au propriétaire du fonds servant de ne « rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode ».
Parallèlement, l’article 702 du code civil interdit au propriétaire du fonds dominant, s’il n’a pas l’accord du propriétaire du fonds servant, de modifier la servitude et, surtout, d’aggraver la situation du fonds servant.
Le premier de ces deux textes interdit au propriétaire du fonds dominant, sans l’accord du propriétaire du fonds servant, d’aggraver la servitude ou d’en changer la nature, le mode d’usage et a fortiori l’emplacement.
Il est donc interdit, en principe, de déplacer l’assiette du passage en situant la voie d’accès au fonds dominant sur un autre endroit du fonds servant.
Mais cette interdiction comporte une exception importante posée par le troisième alinéa de l’article 701 du code civil qui dispose : « Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l’empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ».
Il résulte de ce texte que le propriétaire du fonds servant peut unilatéralement imposer un autre endroit au bénéficiaire de la servitude pour qu’il exerce ses droits dès lors que deux conditions sont réunies :
- la servitude est devenue plus onéreuse ou l’empêche d’effectuer des réparations avantageuses ;
- le nouvel endroit est aussi commode pour l’exercice de ses droits ;
C’est précisément concernant une servitude de passage que la cour de cassation a récemment apporté une précision
sur les conditions dans lesquelles le propriétaire d’un fonds servant peut invoquer les dispositions du troisième alinéa de l’article 701 du code civil pour obtenir une modification de son assiette.
Elle a ainsi jugé par un arrêt du 18 janvier 2023 (cour de cassation 3ème chambre civile n° 22-10700) que « la modification, sans accord des propriétaires du fonds dominant et sans autorisation judiciaire, de l’assiette d’une servitude de passage n’interdisait pas aux propriétaires du fonds servant d’invoquer les dispositions de l’article 701 alinéa 3 du code civil ».
Les faits de l’espèce étaient les suivants.
Le propriétaire d’un terrain en avait cédé une partie à un tiers en se réservant une servitude de passage. Le propriétaire du fonds dominant devait mettre son immeuble en location saisonnière. Se plaignant du passage des touristes et des troubles qui en résultaient, le propriétaire du fonds servant a acquis une bande de terrain limitrophe du fonds dominant pour y installer un nouveau passage avant de fermer l’accès à son propre fonds.
Le propriétaire du fonds dominant l’a alors assigné en arguant du fait qu’il n’avait pas consenti au changement d’assiette. Un arrêt d’appel a rejeté la demande au motif que la servitude était devenue trop onéreuse pour le fonds servant. Cet arrêt a été censuré par la cour de cassation au motif que le propriétaire du fonds servant ne pouvait se prévaloir de l’article 701 alinéa 3 du code civil qui permet justement un changement d’assiette de la servitude dans ce cas de figure dès lors qu’il avait de son propre chef modifié cette assiette (cour de cassation 3ème chambre civile 10 septembre 2020 n° 19-11590).
La cour d’appel de renvoi devait adopter une position différente : la modification unilatérale de l’assiette de la servitude ne prive pas le propriétaire du fonds servant d’invoquer l’article 701 alinéa 3 du code civil dès lors que le propriétaire du fonds dominant peut à nouveau utiliser le passage d’origine. Il convient de préciser que le passage avait effectivement été rouvert.
Le propriétaire du fonds servant demandait que soient constatées les conditions d’application de ce texte, à savoir le fait que l’assiette initialement fixée était devenue plus onéreuse et le fait que la nouvelle assiette était aussi commode pour l’exercice des droits du propriétaire du fonds dominant.
La Cour d’appel (CA Rennes 1ère chambre 26 octobre 2021 n° 21/00176) a accueilli favorablement cette demande.
Le propriétaire du fonds dominant s’est pourvu en cassation et la cour suprême a rejeté son pourvoi.
La cour de cassation a constaté que les conditions posées par l’article 701 alinéa 3 du code civil étaient réunies et que l’assiette d’origine du passage avait été rétablie préalablement à la demande.
Il n’y a pas de contradiction entre les deux décisions successives de la cour de cassation puisque le passage correspondant à l’assiette de la servitude initiale avait été rouvert entre les deux arrêts.
Dès lors que le propriétaire du fonds servant avait régularisé la situation et dès lors qu’il rapportait la preuve que les conditions posées par l’article 701 alinéa 3 du code civil étaient réunies, son initiative malheureuse antérieure ayant consisté à procéder de lui-même au changement qu’il est censé offrir selon les termes du texte invoqué, ne rendait ni irrecevable ni mal fondée sa demande de modification de l’assiette de la servitude de passage.
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