POUR LE COMITE EUROPEEN DES DROITS SOCIAUX, LE BAREME MACRON EST INCONVENTIONNEL
Publié le :
24/10/2022
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Nous avons commenté récemment les deux arrêts du 11 mai 2022 (n° 21-14.490 et n° 21-15.247) par lesquels la Chambre sociale de la Cour de cassation a conclu à la conventionnalité du barème « Macron ».
Rappelons que depuis les ordonnances Macron entrées en vigueur en septembre 2017, l’article L 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte.
Ces montants, notamment le montant maximum, sont fonction uniquement de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.
C’est cet encadrement et cette limitation de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que certains plaideurs considèrent comme contraires à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail et à l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Rappelons que La position de la Chambre sociale de la Cour de cassation résultant de la combinaison des deux arrêts rendus le 11 mai 2022 peut être résumée comme suit :
- le droit français actuel permet une indemnisation raisonnable et adéquate d’un licenciement injustifié au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail,
- les juges du fond ne peuvent procéder à un contrôle de conventionnalité in concreto du barème « Macron »,
- la charte sociale européenne ne crée pas de droit qui serait invocable directement par le justiciable mais réclame seulement aux Etats membres d’atteindre les objectifs qu’elle fixe ; par ailleurs le Comité Européen des Droits Sociaux, organe compétent pour contrôler le respect de la charte, rend des décisions qui n’ont pas de caractère contraignant en droit français.
Malgré la position de la cour de cassation selon laquelle la charte sociale européenne n’a pas d’effet direct concernant un litige en particulier, la position de l’organe chargé d’examiner les plaintes invoquant une violation de ses dispositions, le comité européen des droits sociaux, sur le caractère conventionnel ou pas des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail ou barème Macron était attendue.
Rappelons que la charte sociale européenne est une convention élaborée au sein du conseil de l ‘Europe, conclue en 1961 et intéressant le droit du travail.
Par une décision du 23 mars 2022 prise à l’unanimité de ses membres, le comité européen des droits sociaux a conclu clairement que les montants prévus par le barème « ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et pour être dissuasif pour l’employeur ».
Le barème ne garantit donc pas le droit à une indemnité adéquate prévu par l’article 24. b de la charte qui dispose que les parties à la charte s’engagent à reconnaître « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Le comité a relevé que les plafonds prévus par le barème étaient trop bas, que la marge de manœuvre laissé au juge était trop étroite et le caractère insuffisamment dissuasif du barème.
Nous rappelons que le comité européen des droits sociaux avait déjà, sur le fondement de l’article 24 de la charte sociale européenne, jugé inconventionnels les dispositifs d’indemnisation du licenciement injustifié mis en place en Finlande et en Italie dans la mesure où ils ne permettaient pas une indemnisation adéquate.
Comme indiqué précédemment, les décisions du comité européen des droits sociaux n’ont pas de valeur contraignante pour les états membres du conseil de l’Europe.
Cela étant, sa décision, dont nous rappelons qu’elle a été rendue à l’unanimité, relance le débat sur la validité du barème.
Il est intéressant de comprendre comment le comité européen des droits sociaux a raisonné et a motivé sa décision.
Il a commencé par rappeler qu’un système d’indemnisation doit, pour être jugé conforme à a charte sociale européenne, notamment, prévoir une indemnité d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et réparer le préjudice subi par la victime.
Sur ce point, le comité indique que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et ne soient pas suffisamment dissuasives viole l’article 24 de la charte ».
Le comité rappelle « que le plafond de 24 mois prévu par la législation finlandaise était insuffisant en ce qu’il ne permettait pas d’octroyer une indemnité adéquate au sens de l’article 24 de la charte ».
Il sera précisé que le barème italien, lui aussi jugé contraire à la charte, prévoyait un plafond de 36 mois.
Le comité conclut donc logiquement que le barème Macron viole l’article 24 de la charte dès lors « que dans la législation française, le plafond maximal ne dépasse pas 20 mois et en s’applique qu’à partir de 29 ans d’ancienneté ».
Le comité considère que le plafond prévu par le barème Macron empêche le juge d’octroyer au salarié une indemnité adéquate c’est-à-dire réparant le préjudice causé.
Le comité relève aussi que la sécurité juridique et la prévisibilité des coûts engendrés par une procédure judiciaire, mis en avant par le gouvernement français pour justifier le dispositif législatif examiné, constituent plutôt « une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés ».
Il rappelle ainsi que le droit se doit avant tout d’être juste avant d’être économique.
Enfin, le comité constate que l’indemnisation du préjudice moral causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse est déjà comprise dans l’indemnité plafonnée.
Il conclut de tout ce qui précède « que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la charte n’est pas garanti » et que le barème Macron viole donc l’article 24.b de la charte.
Cette décision du comité européen des droits sociaux, pour importante qu’elle soit, et même rendue à l’unanimité, ne modifie pas en elle-même la situation du droit français.
Rappelons que par ses deux décisions du 11 mai 2022, la cour de cassation a clairement considéré que le barème n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail. Le juge français ne peut donc pas en l’état, même au cas par cas, écarter l’application du barème en s’appuyant sur cette convention internationale.
La cour de cassation a par ailleurs précisé que la loi française ne peut pas faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 b. de la charte sociale européenne qui n’est pas, pour la cour de cassation, d’effet direct.
Nous rappelons par ailleurs que les décisions du comité européen des droits sociaux n’ont pas force contraignante.
Il peut cependant être relevé que l’absence d’effet direct de l’article 24 de la charte ne va pas de soi dès lors que le Conseil d’État avait jugé le contraire dans un arrêt du 10 février 2014 (n° 358992).
Enfin, la décision du comité européen des droits sociaux va être transmise au comité des ministres du Conseil de l’Europe qui aura le choix entre ne donner aucune suite, adopter une résolution ou adopter une recommandation.
C’est ainsi que, après sa décision sur le barème d’indemnisation finlandais du 8 septembre 2016, aucune décision n’a été par le comité des ministres tandis qu’après celle concernant le barème d’indemnisation italien du 11 septembre 2019, ce comité a invité par une simple résolution « les autorités italiennes à faire état, dans leur prochain rapport relatif aux dispositions pertinentes de la charte, de tout nouvel élément concernant leur mise en œuvre et notamment de toute mesure prise pour mettre la situation en conformité avec la charte ».
Le choix de la décision par le comité dépend de l’importance de l’atteinte à la charte.
En fonction de celle-ci, il appartient à l’État membre concerné de tirer les conséquences de la décision, résolution ou recommandation du comité des ministres du Conseil de l’Europe, en droit interne.
Après la décision du Comité européen des droits sociaux, l’avenir du barème Macron tel qu’il résulte de la rédaction actuelle de l’article L 1235-3 du code du travail, est entre les mains du comité des ministres du Conseil de l’Europe avant d’être dans celles du gouvernement et du parlement français.
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