OBLIGATION VACCINALE, PASSE SANITAIRE ET LICENCIEMENT
Publié le :
09/08/2021
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La loi relative à la gestion de crise sanitaire instituant une obligation vaccinale pour certains salariés et prévoyant l’obligation de présentation d’un passe sanitaire dans de nombreux lieux a été, pour l’essentiel de son contenu, déclarée conforme à la constitution ce 5 août 2021.
Si le conseil constitutionnel a déclaré non conformes les dispositions qui permettaient de rompre de façon anticipée le contrat à durée déterminée d’un salarié refusant de présenter un passe sanitaire, est maintenu le principe de la suspension du contrat de travail des salariés soumis à obligation vaccinale ou des salariés qui ne peuvent plus exercer leur activité si ils refusent de présenter un passe sanitaire.
Concernant les salariés soumis à obligation vaccinale, ils sont nombreux puisque l’article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août dispose en son I que :
« Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 :
1° Les personnes exerçant leur activité dans :
a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ;
b) Les centres de santé mentionnés à l'article L. 6323-1 dudit code ;
c) Les maisons de santé mentionnées à l'article L. 6323-3 du même code ;
d) Les centres et équipes mobiles de soins mentionnés à l'article L. 6325-1 du même code ;
e) Les centres médicaux et équipes de soins mobiles du service de santé des armées mentionnés à l'article L. 6326-1 du même code ;
f) Les dispositifs d'appui à la coordination des parcours de santé complexes mentionnés aux II et III de l'article 23 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ;
g) Les centres de lutte contre la tuberculose mentionnés à l'article L. 3112-2 du code de la santé publique ;
h) Les centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic mentionnés à l'article L. 3121-2 du même code ;
i) Les services de médecine préventive et de promotion de la santé mentionnés à l'article L. 831-1 du code de l'éducation ;
j) Les services de prévention et de santé au travail mentionnés à l'article L. 4622-1 du code du travail et les services de prévention et de santé au travail interentreprises définis à l'article L. 4622-7 du même code ;
k) Les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code ;
l) Les établissements mentionnés à l'article L. 633-1 du code de la construction et de l'habitation, qui ne relèvent pas des établissements sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, destinés à l'accueil des personnes âgées ou handicapées ;
m) Les résidences-services destinées à l'accueil des personnes âgées ou handicapées mentionnées à l'article L. 631-13 du code de la construction et de l'habitation ;
n) Les habitats inclusifs mentionnés à l'article L. 281-1 du code de l'action sociale et des familles ;
2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ;
3° Les personnes, lorsqu'elles ne relèvent pas des 1° ou 2° du présent I, faisant usage :
a) Du titre de psychologue mentionné à l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social ;
b) Du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur mentionné à l'article 75 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
c) Du titre de psychothérapeute mentionné à l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique ;
4° Les étudiants ou élèves des établissements préparant à l'exercice des professions mentionnées aux 2° et 3° du présent I ainsi que les personnes travaillant dans les mêmes locaux que les professionnels mentionnés au 2° ou que les personnes mentionnées au 3° ;
5° Les professionnels employés par un particulier employeur mentionné à l'article L. 7221-1 du code du travail, effectuant des interventions au domicile des personnes attributaires des allocations définies aux articles L. 232-1 et L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles ;
6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours, les pilotes et personnels navigants de la sécurité civile assurant la prise en charge de victimes, les militaires des unités investies à titre permanent de missions de sécurité civile mentionnés au premier alinéa de l'article L. 721-2 du code de la sécurité intérieure ainsi que les membres des associations agréées de sécurité civile mentionnées à l'article L. 725-3 du même code participant, à la demande de l'autorité de police compétente ou lors du déclenchement du plan Orsec, aux opérations de secours et à l'encadrement des bénévoles dans le cadre des actions de soutien aux populations ou qui contribuent à la mise en place des dispositifs de sécurité civile dans le cadre de rassemblements de personnes ;
7° Les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire mentionnée à l'article L. 6312-1 du code de la santé publique ainsi que celles assurant les transports pris en charge sur prescription médicale mentionnés à l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale ;
8° Les prestataires de services et les distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique ».
L’article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 dispose en son II que lorsqu’un employeur constate qu'un salarié ne peut plus exercer son activité pour non-respect de l’obligation vaccinale précitée, « il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Le salarié qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés. A défaut, son contrat de travail est suspendu.
La suspension mentionnée au premier alinéa du présent II, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, le salarié conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit.
La dernière phrase du deuxième alinéa du présent II est d'ordre public.
Lorsque le contrat à durée déterminée d'un salarié est suspendu en application du premier alinéa du présent II, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension ».
Mais cette possibilité de voir son contrat de travail suspendu va bien au-delà des seuls salariés soumis à obligation vaccinale.
En effet, l’article 1er de la loi prévoit l’obligation de présenter le passe sanitaire (justificatif de vaccination, test PCR ou certificat de rétablissement à la suite d’une condamnation par la covid 19) pour accéder à de nombreux lieux dont les lieux où sont exercées les activités de restauration commerciale et de débit de boissons et les centres commerciaux sur décision préfectorale.
Cette obligation de présentation d’un passe sanitaire sera applicable à compter du 30 août 2021 aux personnes qui interviennent dans ces lieux, c’est à dire aux salariés.
Cet article 1er dispose en son C que :
1. Lorsqu'un salarié soumis à l'obligation prévue aux 1° et 2° du A du présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s'il ne choisit pas d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de son contrat de travail. Cette suspension, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié produit les justificatifs requis.
Dans le projet de loi initial, avant que la commission mixte paritaire ne révise le texte sur l’extension du passe sanitaire, il était prévu qu’un employeur puisse lancer une procédure de licenciement au bout de deux mois envers un salarié non vacciné.
Cette possibilité n’a pas été maintenue.
En l’état, la loi n’instaure donc pas de possibilité de licencier un salarié au seul motif qu’il ne peut exercer ses fonctions pour absence de présentation de passe sanitaire.
Cela étant, il est bien clair qu’un salarié ne pouvant exercer son activité pour non présentation de passe sanitaire risquera un licenciement sur le fondement du droit commun comme Madame la Ministre du Travail l’a expressément annoncé.
Sur ce sujet il convient de rappeler que le simple fait de refuser de présenter un passe sanitaire à son employeur n’est pas un fait fautif en lui-même.
Ce refus ne pourra donc pas justifier un licenciement disciplinaire c’est à dire un licenciement pour faute.
Cependant un salarié qui refuserait de présenter un passe sanitaire alors qu’il travaille dans un secteur rendant obligatoire la présentation de ce passe se trouverait dans une impossibilité légale de travailler.
Cette impossibilité de travailler pourrait être qualifiée de trouble objectif pour l’entreprise, trouble objectif constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Sur cette question, la jurisprudence a posé pour principe que, si tout licenciement doit être justifié par une cause professionnelle et non par un motif tiré de la vie personnelle du salarié, une exception existe.
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut être invoqué par l’employeur pour justifier un licenciement si il crée un trouble caractérisé au sein de l’entreprise. Par exemple, un chauffeur routier qui perd son permis de conduire suite à une infraction commise hors de ses heures de travail pourra parfaitement être licencié dans la mesure où le fait qu’il soit privé de son permis de conduire ne lui permettra plus de réaliser les missions que l’employeur lui confie, situation créant un trouble objectif.
Comme le licenciement ne doit pas être disciplinaire, i ne peut être prononcé pour faute grave ce qui emporte comme conséquence que le salarié n’est pas privé de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et que le préavis, qui dépend de l’ancienneté du salarié mais est généralement d’une durée de deux mois, trouve à s’appliquer
En l’état, cette suspension du contrat de travail pourra durer jusqu’au 15 novembre, date à laquelle le passe sanitaire pourra être abrogé ou prolongé.
Quels moyens pourraient être développés par un salarié pour contester un licenciement prononcé par son employeur en raison de son refus de présenter un passe sanitaire ?
Il est encore trop tôt pour savoir comment les juridictions accueilleront ce type de contestation mais nous pouvons d’ores et déjà envisager les arguments susceptibles de prospérer.
Il est constant que le secret médical est une composante de la vie privée qui doit être respectée, notamment par l’employeur.
En effet, l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que :
« 1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Par ailleurs, l’article L 1121-1 du code du travail dispose que :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Au visa de ces textes, la décision de l’employeur de sanctionner un salarié refusant de présenter un passe sanitaire pourrait être sérieusement contestée.
On peut faire un parallèle avec le licenciement de salariés au motif qu’ils avaient refusé de se soumettre à une demande de fouille de leur sac à l’entrée de l’entreprise.
La cour de cassation avait rendu à ce sujet un arrêt le 3 avril 2001 (n° 98-45.818) par lequel elle avait validé des licenciements au motif que la mesure de fouille était une mesure temporaire, justifiée par des circonstances exceptionnelles (en l’espèce un contexte d’attentats et de risque d’attentats) et proportionnée au but recherché (la sécurité de l’entreprise et des salariés).
En l’espèce, le caractère temporaire de l’obligation de présenter un passe sanitaire résulte des termes même de la loi n° 2021-1040 qui pose un terme à la période dite de gestion de sortie de crise sanitaire, terme fixé au 15 novembre 2021.
Si ce terme devait être reporté par un nouveau texte, ce caractère temporaire pourrait être sérieusement contesté.
Le critère de justification par des circonstances exceptionnelles pourrait lui être contesté en fonction de l’évolution de la situation sanitaire.
De la même façon, le caractère proportionné au but recherché (la protection de la santé des salariés et des clients) pourrait être contesté avec des arguments d’ordre factuel tirés notamment du fait que le fait d’être vacciné n’empêche pas en lui-même d’attraper la covid 19 et donc de contaminer ses collègues ou tirés du fait que d’autres mesures moins attentatoires à la vie privée permettraient d’atteindre l’objectif de protection de la santé de la clientèle et des autres salariés.
Si le terme de la période dite de gestion de sortie de crise sanitaire devait être maintenu au 15 novembre 2021, un autre axe de contestation de licenciements prononcés pour refus de présenter un passe sanitaire nous semble pouvoir être envisagé.
Comme indiqué précédemment, ce type de licenciement ne pourrait être prononcé pour faute et donc bien évidemment pas pour faute grave.
Le salarié licencié pour ce motif conserverait donc son droit au préavis, préavis qui est, pour tout salarié justifiant de deux années d’ancienneté, c’est à dire pour la plupart des salariés en contrat à durée indéterminée, de deux mois.
Or, l’obligation de présentation de passe sanitaire pour les salariés travaillant dans des secteurs soumis à cette obligation ne sera effective qu’au 30 août 2021.
La plupart de ces licenciements seront donc prononcés après le 15 septembre 2021 et ne deviendront donc effectifs, au terme du délai de préavis, que postérieurement au 15 novembre 2021.
Nous serons donc en présence de licenciements justifiés à la date de leur prononcé, mais, ne devenant effectifs qu’à une date où leur cause aura disparu.......
Certes, la validité d’une décision de licenciement doit s’apprécier à la date de son prononcé, ce qui semble rendre inopérant l’argument précité.
Cela étant, un conseil de prud’hommes pourrait être sensible à l’argument et considérer que le caractère sérieux de la cause du licenciement fait défaut.
A ce stade, il ne s’agit que de pistes de réflexion et il est encore trop tôt pour savoir quels arguments seront susceptibles de prospérer en contestation de licenciements prononcés pour refus de présentation de passe sanitaires.
Nous conclurons en indiquant que l’argument tiré d’une discrimination ne nous semble pas pouvoir être avancé efficacement.
Certes, l’article L 1132-1 du code du travail dispose que :
« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ».
Cela étant, la mesure consistant pour l’employeur à demander au salarié de présenter un passe sanitaire serait une mesure s’appliquant à tous les salariés sans distinction tenant à l’état de santé ou aux convictions qu’elles soient politiques ou religieuses.
Même si le licenciement toucherait potentiellement des personnes en raison de ce type de considérations, la mesure de contrôle décidée par l’employeur n’aurait pas en elle-même de caractère discriminatoire.
Nul doute que cet argument tenant au caractère discriminatoire des licenciements sera développé devant les juridictions, mais, il nous semble n’avoir, pour les raisons exposées précédemment, que peu de chances de prospérer.
Historique
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