CREDITS EN FRANCS SUISSES ET CLAUSES ABUSIVES
Publié le :
03/04/2023
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Des contrats de crédit immobilier commercialisés à la fin des années 2000 par une filiale de la Banque BNP PARIBAS sous la dénomination de contrat « Helvet Immo » ont donné lieu à un contentieux particulièrement fourni et à des dizaines de décisions de justice ayant amené pour la cour de cassation à un rejet des contestations engagées par les emprunteurs sur le fondement des clauses abusives.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu deux arrêts sur la question le 10 juin 2021 suite à des questions préjudicielles posées respectivement par le Tribunal d’Instance de Lagny-sur-Marne et par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Dans les deux affaires, la question se posait de l’application de la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives à ce contrat de prêt immobilier libellé en francs suisses.
Une des caractéristiques de ces prêts est que l’euro n’est qu’une monnaie de paiement pour l’emprunteur alors que les opérations de compte sont réalisées en francs suisses.
L’emprunteur effectue ses remboursements en euros sur la base d’un montant mensuel fixe mais chaque mensualité est convertie en francs suisses avant imputation en priorité sur les intérêts puis sur le capital sur un compte libellé en francs suisses.
La difficulté qui s’est posée pour de nombreux emprunteurs est que, postérieurement à la conclusion de leur contrat, le franc suisse s’est réévalué de façon significative par rapport à l’euro, réévaluation ayant eu pour conséquence que ces emprunteurs se sont retrouvés redevables d’un capital en euros nettement supérieur à celui emprunté malgré le versement régulier de leurs mensualités.
Ces situations révélant la dangerosité de ce type de prêt ont amené le législateur à les interdire en 2013 dans les rapports de consommation (loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 : article L 313-64 du code de la consommation).
Cela étant, cette loi n’ayant pas d’effet rétroactif, elle n’a pas apporté de protection aux emprunteurs précités alors même que toutes les contestations formées sur le fondement des clauses abusives ont été rejetées par le Cour de Cassation qui a considéré que le prêteur avait rempli ses obligations à l’égard des emprunteurs sur ce point.
Malgré cette position claire de la Cour de Cassation, le Tribunal d’Instance de Lagny-sur-Marne et le Tribunal de Grande Instance de Paris ont saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une série de questions portant sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE relative aux clauses abusives au regard de plusieurs clauses des contrats Helvet Immo, notamment celle prévoyant que la devise étrangère est la monnaie de compte alors que l’euro est la monnaie de paiement, distinction ayant pour effet de faire supporter le risque de change par l’emprunteur.
La première question qu’a eu à se poser la Cour de Justice de l’Union Européenne est celle de savoir si les clauses litigieuses relevaient de l’« objet principal du contrat » au sens de l’article 4§2 de la directive transposé à l’article L 212-1 alinéa 3 du code de la consommation, alinéa qui prévoit que « l’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible ».
C’est en application de cet alinéa que la cour de cassation a rejeté toutes les contestations s’appuyant sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat Helvet Immo.
La CJUE rappelle en premier lieu que l’exclusion de l’appréciation de l’abus au sens de cet alinéa est d’interprétation stricte et conditionnée au fait que la clause litigieuse fixe « les prestations essentielles du contrat » et caractérisent comme telles l’objet principal.
En second lieu, sur la qualification des clauses litigieuses comme caractérisant ou pas l’objet principal du contrat, la Cour n’exclut pas que ces clauses puissent ne pas relever de l’objet principal. Elle ne tranche pas la question et laisse une marge de manœuvre au juge national sur la question de savoir si les clauses de conversion relèvent ou pas de l’objet principal du contrat.
Cela étant, la CJUE relativise immédiatement l’importance de cette question en rappelant que aux termes de l’article 4§2 de la directive et de l’alinéa 3 de l’article L 212-1 du code de la consommation, même si les clauses litigieuses devaient être considérées comme relevant de l’objet principal du contrat, elles ne seraient exclues du contrôle de l’abus que si elles étaient « claires et compréhensibles ».
La CJUE rattache cette condition à l’exigence de transparence posée par l’article 5 de la directive transposé à l’article L 211-1 du code de la consommation. La Cour pose que cette transparence suppose que la clause soit suffisamment intelligible pour qu’un consommateur moyen puisse évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières et le coût du crédit.
Or, concernant le contrat Helvet Immo, la Cour relève que la mention des risques, notamment du risque de change, est absente des documents bancaires. Elle considère donc que l’emprunteur n’a pas pu prendre conscience, faute d’une information claire et suffisante, du risque pris et n’a donc pas pris sa décision de contracter en pleine connaissance de cause.
Ces décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne devraient amener les juridictions françaises à apprécier le caractère clair et compréhensible des clauses litigieuses à l’aune des critères précités et donc à modifier leur jurisprudence sur le fait qu’elles relèvent de la législation sur les clauses abusives.
La Cour ayant jugé le contrôle de l’abus possible, il lui restait à se positionner sur le caractère abusif ou non des clauses litigieuses du fait notamment de la disproportion du risque de change qui pèse sur le consommateur.
Sur ce point, la Cour indique qu’un abus peut être caractérisé « dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change ».
La Cour tranche ainsi clairement pour le caractère abusif des clauses litigieuses.
Il est à noter que pour caractériser l’abus, la CJUE ne se contente pas de la seule disproportion du risque de change.
Il résulte en effet de la motivation adoptée et mentionnée précédemment qu’elle fait un lien entre abus et manquement au devoir de transparence.
Il appartiendra évidemment aux juridictions nationales de faire application des différents critères de l’abus aux contrats litigieux et à leurs clauses, mais, ces juridictions ne pourront ignorer cette appréciation faite des clauses litigieuses par la CJUE.
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