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OPPOSABILITE DE LA CESSION DE CREANCE ET VOIE D’EXECUTION PRATIQUEE PAR LE CESSIONNAIRE CONTRE LE DEBITEUR CEDE

Publié le : 22/12/2021 22 décembre déc. 12 2021

Nous avons exposé dans des articles précédents le fait que, depuis 2016 et la réforme du droit des obligations, le régime de la cession de créance et de son opposabilité avait été libéralisé.

Pour rappel, l’ancien article 1690 du code civil correspondant au droit commun ancien subordonnait l’opposabilité d’une cession de créance au débiteur à sa signification ou à son acceptation par acte authentique  (« le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur ; le cessionnaire peut être également saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique »).

Ces deux formalités alternatives avaient un effet, c’est à dire rendaient opposables la cession, tant vis à vis des tiers que du débiteur cédé.

Le nouveau droit commun issu de la réforme du droit des obligations de 2016 opère une différenciation en posant des règles différentes pour l’opposabilité de la cession de créance aux tiers et celle au débiteur cédé.

Concernant les tiers l’article 1323 dispose, après avoir énoncé qu’entre les parties le transfert de créance s’opère à la date de l’acte, que ce transfert ou cession de créance leur est opposable dès ce moment.

Concernant le débiteur cédé, le nouvel article 1324 n’exige plus qu’une simple notification là où l’ancien article 1690 exigeait une signification, et, diffère la date de l’opposabilité de la cession au jour de cette notification (« la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte »).

Rappelons que si la signification nécessite l’intervention d’un huissier, la notification peut se faire par simple courrier.


La question se pose de la validité d’une voie d’exécution engagée par le cessionnaire de la créance contre le débiteur cédé entre la date de la cession et sa notification au débiteur cédé.

Durant cette période, en application des dispositions des articles 1323 et 1324 du code civil, la cession est valable entre les parties (cédant et cessionnaire), est opposable aux tiers mais pas au débiteur cédé et donc, dans notre hypothèse, au saisi.


Plusieurs décisions ont été récemment rendues sur la question.


La Cour d’Appel de Versailles a rendu un arrêt le 5 mars 2020 (CA Versailles 16ème chambre 5 mars 2020 n° 19/00018) concernant une société ayant pratiqué une saisie-attribution le 3 avril 2018 pour paiement forcé d’une créance qui lui avait été cédée le 17 mars 2017, créance résultant d’une ordonnance d’injonction de payer rendue le 11 janvier 2000 et signifiée au débiteur le 6 avril 2000.  Ce n’est que le 18 avril 2018, donc postérieurement à la saisie-attribution litigieuse qu’elle notifie la cession de créance au débiteur cédé. Ce dernier conteste cette saisie-attribution en soutenant que le créancier cessionnaire ne pouvait engager une voie d’exécution à son encontre à une date à laquelle la cession de créance ne lui avait pas été rendue opposable. La Cour d’Appel de Versailles fait droit à son argumentation et ordonne la mainlevée de la saisie-attribution litigieuse au motif qu’elle avait été pratiquée à une date où la cession de créance n’était pas opposable au débiteur cédé.


La Cour d’Appel d’Aix en Provence, ayant à juger d’un cas similaire, a tenu un raisonnement opposé dans un arrêt du 25 juin 2020 (CA Aix en Provence 1ère chambre 25 juin 2020 n° 19/10191).  Une société avait bénéficié d’une cession de créance le 17 mars 2017 et avait pratiqué une saisie-attribution contre le débiteur cédé le 3 avril 2018 en exécution du jugement constatant la créance, jugement rendu le 6 juin 2008.  Le 11 avril 2018, la société cessionnaire fait dénoncer la saisie. Le même jour et donc postérieurement à la saisie proprement dite, elle notifie la cession de créance au débiteur. Ce dernier conteste la saisie-attribution et la Cour d’Appel a à se poser la question de la validité de la saisie pratiquée avant la notification de la cession de créance au débiteur. La Cour d’Appel d’Aix en Provence conclut à la validité de la saisie en ces termes : « Si la cession de créance n’est pas opposable au débiteur cédé en l’absence de notification, le fait que la saisie-attribution du 3 avril 2018 ait précédé la notification de la cession de créance n’a pas pour conséquence de l’invalider dès lors qu’elle a été pratiquée par le créancier titulaire effectif des droits, la société X, et que Y (le débiteur cédé) ne prétend pas, jusqu’à cette date, s’être acquittée entre les mains d’un tiers ».

Par cet arrêt, la Cour d’Appel d’Aix en Provence assimile, à notre sens de façon fort contestable, la notification de la cession de créance à un simple mode d’information du débiteur cédé.

Ce faisant, elle occulte le fait que les articles 1323 et 1324 du code civil précédemment évoqués distinguent clairement entre opposabilité de la cession de créance aux tiers en général, aux tiers ordinaires, et son opposabilité au débiteur cédé. Le second de ces textes subordonne explicitement l’opposabilité de la cession au débiteur à une notification ou une prise d’acte.


Sur la même question, nous avons évoqué dans un article précédent un arrêt rendu par la Cour d’Appel de DOUAI le 16 septembre 2021 (chambre 8 section 3 16 septembre 2021 n° RG 21/00889).

En l’espèce, le débiteur, représenté par moi-même, avait interjeté appel d’un jugement du Juge de l’Exécution de Boulogne sur Mer ayant rejeté sa demande de nullité de commandements de payer qui lui avaient été signifiées par une société financière qui n’était pas son créancier originaire.

Cette société qui se prétendait cessionnaire de la créance avait fait signifier deux actes qui visaient deux créances distinctes et qui valaient à la fois signification de cession de créance et commandement de payer avant saisie-vente.

Dans cette espèce, nous étions donc en présence d’une notification de la cession de créance non pas postérieure à l’engagement d’une voie d’exécution mais concomitante à celui-ci.

Le Juge de l’exécution de Boulogne sur Mer avait déclaré valides les commandements de payer avant saisie vente en retenant notamment qu’ils indiquaient clairement la référence des titres exécutoires  ainsi que la mention de la cession de créance intervenue.

En appel, j’avais fait valoir que l’opposabilité de la cession de créance et donc sa notification régulière au débiteur cédé devaient nécessairement intervenir préalablement à l’engagement d’une voie d’exécution.    

Je rappelais les termes de l’article L 111-2 du code des procédures civiles d’exécution qui dispose que « Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution » et en déduisais que l’engagement d’une voie d’exécution par un créancier invoquant une cession de créance à son bénéfice supposait que cette cession ait été rendue préalablement opposable au débiteur cédé et par conséquent que la notification soit intervenu préalablement à toute voie d’exécution.

L’argument revient à dire que seul un créancier peut pratiquer une voie d’exécution et qu’un cessionnaire ne peut prétendre à cette qualité que si la cession est devenue opposable au débiteur cédé.

La Cour d’Appel valide l’argument.

Elle affirme que dès lors que la cession de créance n’est pas opposable au débiteur tant qu’il n’en a pas été informé par notification ou qu’il n’en a pas pris acte, à moins qu’il ait consenti à la cession en y participant, l’acte de saisie fondé sur un titre exécutoire obtenu par le cédant ne peut être valablement délivré par le cessionnaire au débiteur cédé qu’en vertu d’une cession du titre exécutoire préalablement notifiée à ce dernier.


Enfin, la Cour de Cassation a rendu un arrêt sur la question le 9 septembre 2021 (2ème chambre civile 9 septembre 2021 n° 20-13.834).

Une société à qui avait été cédée le 21 mai 2007 une créance résultant d’un jugement rendu en 1992 avait fait procéder à une saisie-attribution pour obtenir son paiement forcée, saisie-attribution diligentée le 28 février 2018. La cession de créance n’était signifiée au débiteur cédé que le 7 mars 2018, de façon concomitante à la dénonciation de la saisie-attribution.

La Cour d’Appel de Bordeaux avait validé la saisie en retenant que la signification de la cession de créance a pour but d’informer le débiteur du changement d’identité de son créancier et qu’à la date de la saisie-attribution litigieuse, le cessionnaire saisissant avait ben acquis les droits du cédant et était donc devenu créancier. Elle ajoute par ailleurs et surtout que l’article 1690 du code civil (la cession de créance était intervenue antérieurement à la réforme de 2016) ne fixe aucune condition d’antériorité.

La Cour de Cassation invalide ce raisonnement et casse l’arrêt d’appel en indiquant que « la cession de créance, qui n’avait pas été signifiée au débiteur saisi à la date de la mesure, ne lui était pas opposable ».

Ce faisant, la Cour de Cassation tranche nettement la question objet de cet article : pour engager une voie d’exécution, le cessionnaire d’une créance doit avoir préalablement rendu opposable la cession au débiteur cédé en lui notifiant cette cession.

Précisons que si cet arrêt de la Cour de Cassation a été rendu au visa de l’ancien article 1690 du code civil, le raisonnement tenu vaut a fortiori pour une cession postérieure à la réforme de 2016 dès lors que le nouvel article 1324 pose de façon expresse que la cession n’est opposable au débiteur cédé qu’à la date où elle lui a été notifiée où à celle où il en a pris acte.


 

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