LA CONTESTATION SERIEUSE AU REGARD DES ARTICLES 808 ET 809 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE (devenus les articles 834 et 835 du code de procédure civile)
Publié le :
04/08/2021
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Avertissement : cet article correspond à une intervention lors d’un colloque organisé par l’ULCO sur les procédures d’urgence en 2017.
Depuis, la réforme de la procédure civile est intervenue et est entrée en vigueur le 1er janvier 2021.
Les articles 808 et 809 dont il est abondamment question dans cet article sont devenus de ce fait les articles 834 et 835 du code de procédure civile.
Hormis ce changement de numérotation, les développements qui suivent nous semblent avoir conservé toute leur pertinence et tout leur intérêt.
INTRODUCTION
On désigne communément le juge des référés comme étant le juge de l’urgence, du provisoire ou celui de l’évidence.
Au premier abord, c’est à cette notion d’évidence que semble se rattacher celle de contestation sérieuse.
Parmi les quatre articles composant le chapitre du code de procédure civile consacré aux ordonnances de référé (chapitre 1er du sous-titre II du titre 1er du livre 2 articles 808 à 811 du code de procédure civile), deux font expressément référence à la notion de contestation sérieuse :
- l’article 808 qui dispose que « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
- l’article 809 qui dispose que « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Ces deux articles prévoient trois chefs de saisine du juge des référés faisant chacun référence à la notion de contestation sérieuse plus précisément à l’absence de contestation sérieuse, deux positivement, un négativement :
- Les mesures urgentes ne se heurtant à aucune contestation sérieuse
- Les mesures en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent (même en présence d’une contestation sérieuse)
- L’exécution d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable
CONTESTATION SERIEUSE ET INTERVENTION DU JUGE DES REFERES
- Les mesures urgentes ne se heurtant à aucune contestation sérieuse
Pour le défendeur, nier l’urgence de la situation reviendra à contester la saisine du juge et donc à refuser au juge des référés le droit de connaître de l’affaire, et, même s’il est le juge désigné par les règles de compétence territoriale et d’attribution.
Il faut qu’une urgence soit caractérisée, étant précisé que l’urgence est souverainement appréciée par les juges du fond et peut résulter implicitement de leurs constatations (notamment cour de cassation 1ère chambre civile 7 octobre 1980 Bulletin civil I n° 246).
De jurisprudence constante, la cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur le caractère urgent du cas dont le juge des référés est saisi. L’appréciation de l’urgence relève, selon la formule consacrée, du pouvoir souverain des juges du fond (notamment chambre commerciale 24 juin 1986 Bulletin civil IV n° 145).
Dès lors qu’un cas d’urgence est caractérisé, l’article 808 du code de procédure civile pose une alternative : le président du tribunal de grande instance peut alors ordonner en référé toutes les mesures :
- qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse
- ou que justifie l’existence d’un différend.
La notion de contestation sérieuse n’est pas facile à définir. Par contestation sérieuse, on entend celle que le juge ne peut, sans hésitation, rejeter en quelques mots.
Le texte posant une alternative, l’existence d’une contestation sérieuse n’apparaît pas suffisante, dès lors que l’urgence est caractérisée, pour permettre le rejet d’une demande formée devant le juge des référés. Il a ainsi été jugé (cour de cassation 1ère chambre civile 16 juillet 1987 Bulletin civil I n° 229) que manquait de base légale l’arrêt ayant rejeté une demande d’expertise médicale formée par la cliente d’un hôtel blessée à la suite d’une chute dans un escalier de cet hôtel, au seul motif que la mesure sollicitée se heurtait à une contestation sérieuse, sans rechercher si elle n’était pas justifiée par l’existence d’un différend.
De façon plus significative, une contestation pourra devenir la cause du référé puisque l’article 808 vise le cas où la mesure trouve sa justification dans l’existence d’un différend. Il doit donc être considéré que l’existence d’une contestation sérieuse n’est pas toujours un obstacle à l’intervention du juge des référés sur ce fondement. Au contraire, c’est précisément l’existence du différend qui va faire obstacle à ce que le juge prenne en considération la contestation sérieuse qui peut exister par ailleurs.
Pour ce qui concerne l’absence de contestation sérieuse, elle relève du contrôle de la cour de cassation. Il a ainsi été jugé (cour de cassation 1ère chambre civile 30 janvier 1979 Bulletin civil I n° 39) que le juge des référés qui se déclare incompétent au motif qu’un procès est pendant quant à la propriété d’un titre litigieux et qu’il apparaît qu’il existe en la cause une difficulté sérieuse sans préciser quelles étaient les parties aux instances et décisions auxquelles il se référait ni quel en était l’objet, ne met pas la cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur l’existence d’une contestation sérieuse justifiant l’incompétence de la juridiction des référés.
L’existence ou pas d’une contestation sérieuse doit être appréciée à la date où le juge statue. Il a ainsi été jugé qu’avait violé l’article 808 la cour d’appel ayant infirmé une ordonnance de référé alors qu’à la date où elle s’était prononcée, il n’existait plus aucune contestation sérieuse (chambre commerciale 26 novembre 1979 Bulletin civil IV n° 305). En l’espèce, le juge de première instance avait considéré qu’une discussion entre les parties n’était pas susceptible d’être qualifiée de contestation sérieuse. La Cour d’Appel a infirmé en adoptant appréciation différente de la nature des discussions qui existaient entre les parties lorsque le juge de première instance a pris sa décision. La cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que, à la date où la cour d’appel a statué, il n’existait plus de contestation sérieuse, les discussions entre les parties n’ayant pas abouti.
A titre d’exemples de cas où il a été relevé une absence de contestation sérieuse permettant au juge des référés d’ordonner certaines mesures, on peut citer :
- l’apparence de légalité dans un cas où le juge des référés s’est borné à constater que l’exception d’illégalité soulevée devant lui ne présentait pas un caractère sérieux (chambre sociale 23 mars 1989 Bulletin civil V n° 254)
- l’application d’une clause claire et précise d’un contrat de résidence prévoyant la résiliation de ce contrat un mois après mise en demeure infructueuse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception de payer la redevance convenue est considérée comme ne soulevant aucune contestation sérieuse (cour de cassation 3ème chambre civile 2 avril 2003 Bulletin civil III n° 78).
Concernant les mesures susceptibles d’être ordonnées par le juge des référés en application de l’article 808, on peut citer : la nomination d’un administrateur provisoire (chambre commerciale 26 avril 1982 Bulletin civil IV n° 136), la désignation d’un séquestre (chambre commerciale 15 février 1983 Bulletin civil IV n° 67), la décision portant sur la garantie d’un paiement (première chambre civile 29 juin 1982 Bulletin civil I n° 248), l’octroi d’une servitude de tour d’échelle (2ème chambre civile 8 janvier 1992 Bulletin civil II n° 10), la constatation de la résolution d’une promesse de vente et radiation de sa publication à la conservation des hypothèques (3ème chambre civile 16 janvier 2013 Bulletin civil III n° 5), la constatation de la résiliation d’un bail en application d’une clause résolutoire (3ème chambre civile 11 mars 1980 Bulletin civil III n° 57)…….
- Les mesures en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent
Les deux cas ouvrant sa compétence sont donc l’existence d’un trouble manifestement illicite et le risque de dommage imminent.
Le trouble manifestement illicite est une violation caractérisée d’un texte de droit ou une violation moins grave mais d’un droit particulièrement protégé comme, par exemple, une liberté publique ou le droit de propriété.
Les cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite peuvent être rapprochés voire assimilés aux cas d’urgence dont le juge des référés est saisi au visa de l’article 808. Il y a en effet nécessairement urgence à prévenir un dommage imminent ou urgence à mettre fin à un trouble manifestement illicite.
Ainsi, pour certains auteurs (Nicolas Cayrol « Procédure civile » Cours Dalloz Série Droit privé édition 2017), les situations décrites par les articles 808 et 809 alinéa 1er et permettant au juge des référés d’intervenir relèveraient toutes les deux de l’urgence :
- saisi d’un cas d’urgence simple, le juge des référés ne peut ordonner que des mesures « qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse »
- saisi d’un cas d’urgence aggravé, il « peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite »
Le caractère aggravé de l’urgence permettrait alors au juge des référés de statuer même en présence d’une contestation sérieuse.
Cette analyse a été confortée la cour de cassation (3ème chambre civile 22 mars 1983 Bulletin civil III n° 83) qui a pu considérer que, dès lors qu’il fallait prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, l’urgence était présumée de manière irréfragable.
Nous serions donc plus en présence d’une différence de degré que d’une différence de nature entre les deux chefs de saisine des articles 808 et 809 alinéa 1er.
La consécration de ce deuxième chef de saisine, introduit en droit français en 1973 seulement, n’a cependant pas été inutile.
Elle a en effet contribué au développement des référés en permettant au juge d’intervenir avec davantage d’efficacité dans les cas les plus graves. En effet, en cas d’urgence stricto sensu ou d’urgence simple, l’article 808 ne permet au juge d’ordonner des mesures qu’à la condition que celles-ci ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.
Au contraire, en cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite, et selon les termes de l’article 809 alinéa 1er, le juge peut toujours prescrire « toutes les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent », y compris celles qui pourraient se heurter à une contestation sérieuse.
Il est de jurisprudence constante (notamment cour de cassation 1ère chambre civile 15 octobre 1985 Bulletin civil I n° 260) que le juge des référés qui retient l’existence d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 justifie par là-même sa décision ordonnant qu’il y soit mis fin et qu’il ne peut donc lui être fait grief d’avoir statué malgré une contestation sérieuse.
La notion de trouble manifestement illicite faisant référence à une situation d’illicéité manifeste, on peut légitimement s’interroger sur la différence qu’elle peut présenter avec celle d’absence de contestation sérieuse.
A titre d’illustration permettant de faire saisir la différence entre les deux notions, il peut être relevé qu’une demande d’expulsion d’un locataire dont le bail commercial est résilié en vertu d’une clause résolutoire par suite d’un défaut de paiement des loyers persistant après un commandement est une mesure destinée à mettre fin au trouble manifestement illicite résultant de l’occupation des lieux devenue sans droit ni titre (notamment chambre commerciale 6 mars 2001 Bulletin civil IV n° 51 D 2001 IR 1469).
Or, il a été vu précédemment que selon la jurisprudence, il y a absence de contestation sérieuse lorsqu’il est demandé l’application d’une clause résolutoire claire et précise d’un contrat de bail prévoyant la résiliation de ce contrat après, selon les termes du contrat, délivrance d’un commandement de payer visant cette clause résolutoire ou mise en demeure infructueuse par lettre recommandée.
Dès lors que l’acquisition de la clause résolutoire a déjà été constatée et que l’occupant qui se maintient dans les lieux est devenu sans droit ni titre, la demande de son expulsion relève des mesures que peut prendre le juge des référés pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La comparaison entre ces deux cas de figure permet de comprendre que si l’absence de contestation sérieuse correspond à une situation relevant de l’évidence, l’existence d’un trouble manifestement illicite relève également d’une situation d’évidence, mais, dans un cas où il est porté atteinte à un droit spécialement protégé comme, pour le cas qui nous occupe, le droit de propriété.
Pour un autre exemple de trouble manifestement illicite, on peut citer le cas de l’adjudicataire d’un immeuble saisi qui prend possession des locaux sans signifier préalablement à l’occupant le jugement d’adjudication et le titre d’expulsion : il s’agit d’une voie de fait caractéristique d’un trouble manifestement illicite. Dès lors, le juge des référés est en droit d’ordonner la réintégration de l’occupant évincé, sans avoir à tenir compte de la contestation sérieuse au fond du droit (2ème chambre civile 7 juin 2007 n° 07-10.601 Bulletin civil II n° 146).
Pour un exemple de dommage imminent, lorsque la grève du personnel d’une clinique risque de mettre en jeu la vie des malades, le juge est saisi d’un cas de dommage imminent. Il est alors en droit d’autoriser la mise en place d’un service minimal, quoiqu’une telle mesure puisse de toute évidence faire l’objet d’une contestation sérieuse au regard des principes du droit de la grève (Orléans 7 janvier 2002 JCP 2003 IV 2547).
Le contrôle de la cour de cassation sur ce double chef de saisine varie :
- le dommage imminent est considéré commue une notion de fait et est donc abandonné à l’appréciation souveraine des juges du fond
- le trouble manifestement illicite, parce qu’il implique de déterminer ce qui est ou non permis par la loi, est considéré comme une notion de droit. A ce titre, elle fait l’objet d’un contrôle de la part de la cour de cassation (Assemblée plénière 28 juin 1996 Bulletin assemblée plénière n° 6).
- L’exécution d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable
Contrairement à l’article 808, et à l’article 809 alinéa 1er si l’on considère que dommage imminent et trouble manifestement illicite constituent des cas d’urgence aggravés, la condition d’urgence n’est pas exigée même implicitement (cour de cassation 1ère chambre civile 4 novembre 1976 Bulletin civil I n° 330).
Ce qui justifie la saisine du juge des référés, c’est l’existence d’un « cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ».
La mesure la plus fréquemment ordonnée ce visa est le paiement d’une somme sous forme de provision et porte souvent sur des loyers commerciaux, factures, sommes dues au titre d’un prêt……
A la différence de la jurisprudence rendue au visa de l’article 808, il a été jugé (Première chambre civile 9 mai 2001 Bulletin civil I n° 129) que l’existence d’une contestation sérieuse au sens de l’article 809 alinéa 2 ne relève pas du contrôle de la cour de cassation mais relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Cette différence semble pouvoir s’expliquer par le fait que, pour ce qui concerne l’article 809 alinéa 2, c’est l’existence de l’obligation qui ne doit pas être sérieusement contestable.
Or, l’existence est une notion de fait qui relève donc de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Concernant la charge de la preuve, il a pu être jugé (1ère chambre civile 4 novembre 1987 Bulletin civil I n° 282) que s’il appartient au demandeur à une provision d’établir l’existence de la créance qu’il invoque, c’est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable.
Il apparaît donc que, selon la jurisprudence, une obligation dont l’existence est prouvée est présumée ne pas être sérieusement contestable, la présomption correspondante étant une présomption simple.
Dès lors que le défendeur rapporte la preuve la preuve que l’obligation est sérieusement contestable, la demande de provision portant sur l’exécution de cette obligation sera rejetée comme non fondée.
S’agissant d’une procédure de référé dans le cadre de laquelle le juge n’est pas saisi du principal, contester l’obligation dont le demandeur exige l’exécution, ce n’est pas opposer une défense au fond, c’est contester la saisine du juge des référés.
QUALIFICATION PROCEDURALE DU MOYEN DE DEFENSE TIRE DE L’EXISTENCE D’UNE CONTESTATION SERIEUSE
- Pour saisir la nature procédurale de la contestation sérieuse en référé, il n’est pas inutile de rappeler la définition de l’ordonnance de référé qui est posée par l’article 484 du code de procédure civile qui dispose que « l’ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires ».
L’absence de saisine du principal signifie que le juge doit comprendre le litige en faisant abstraction du principal, qu’il doit trancher le litige sans statuer sur le principal, le principal pouvant être assimilé au fond du droit ou au fond du litige.
Pour cerner la nature procédurale de la contestation sérieuse, il apparaît nécessaire de s’arrêter sur le sens que prend cette notion dans chacun des articles concernés, à savoir les articles 808 et 809 du code de procédure civile, avant de s’interroger sur la qualification susceptible d’être retenue pour ce moyen de défense devant le juge des référés.
Il nous semble, à l’analyse des différents chefs de saisine du juge des référés et au vu du libellé des articles 808 et 809 alinéa 2 du code de procédure civile, que l’expression contestation sérieuse ne revêt pas la même signification dans les deux cas.
Pour l’article 808, il s’agit, dès lors qu’un cas d’urgence est caractérisé, de donner la possibilité au juge des référés de prendre certaines « mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
Il est clair au vu du libellé adopté que, ce qui permet au juge des référés d’intervenir, c’est l’urgence. La notion de contestation sérieuse, ou plutôt son absence, n’intervenant qu’au stade du choix des mesures qui peuvent être prononcées.
En revanche, pour l’article 809 alinéa 2, ce qui permet au juge des référés d’intervenir, c’est l’existence d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés pouvant alors « accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Un exemple peut permettre de bien saisir la différence entre ces deux approches de la contestation sérieuse : celui du tour d’échelle.
Sous l’ancien droit, on appelait droit de tour d’échelle, le droit pour un propriétaire de pénétrer chez son voisin afin d’effectuer des réparations sur le mur bornant la propriété. En 1804, les rédacteurs du code civil n’ont pas voulu conserver ce droit. Il n’existe donc plus en droit français positif de tour d’échelle et la cour de cassation censure les décisions des juges du fond consacrant une telle servitude en l’absence de convention. Cela dit, le propriétaire dont le mur a besoin de réparations urgentes n’est pas complètement démuni bien qu’il n’ait aucun droit subjectif à faire valoir : il peut solliciter auprès du juge des référés l’autorisation de passer sur le fond voisin. Et le juge des référés, mais seulement lui, parce que précisément il n’est pas saisi au principal, pourra lui donner satisfaction, passant outre l’absence de droit subjectif, dès lors que les conditions propres du référé sont réunies (notamment première chambre civile 14 décembre 1955).
Il a ainsi été jugé (2ème chambre civile 8 janvier 1992 n° 90-17.870 Bulletin civil II n° 10) que « ayant, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, retenu qu’il était urgent et impératif d’appliquer sur le mur litigieux un enduit protecteur, totalement inexistant, et que le seul moyen pour y parvenir était d’installer un échafaudage en passant par le jardin des voisins, sans qu’il en résultât pour ceux-ci une sujétion intolérable et excessive, la cour d’appel, statuant en matière de référé sur le fondement de l’article 808 du code de procédure civile, et qui n’avait pas à se prononcer sur la contestation de fond invoquée par le moyen a, ainsi, justifié légalement sa décision ».
A la différence du juge des référés, un juge du fond saisi du principal ne pourrait pas ignorer que la servitude de tour d’échelle n’existe plus en droit français et serait tenu de trancher l’affaire sur la base de cette considération de fond.
Dans ce cas de figure, où le juge des référés statue au visa de l’article 808, il considère que sa saisine est justifiée par l’urgence de la situation et qu’il peut donc intervenir, et, que la mesure à ordonner, à savoir l’installation d’un échafaudage en passant par le jardin des voisins s’impose et ne se heurte donc à aucune contestation sérieuse.
Dans le cas de l’article 809 alinéa 2, la limite qui s’impose au juge des référés est l’existence d’une contestation sérieuse de la créance alléguée par le demandeur.
La contestation sérieuse au sens de ce texte est un moyen de défense opposé par le défendeur dont l’examen touche au principal, et qui, par conséquent, excède les limites de la saisine du juge des référés.
Si pour l’article 808, c’est l’urgence qui justifie la saisine du juge des référés, pour l’article 809 alinéa 2, c’est le fait que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Il a ainsi pu être jugé (2ème chambre civile 4 juin 2015 n° 14-13.405) que l’invocation d’une cause d’exonération de responsabilité constitue de la part du défendeur une contestation sérieuse dès lors que celle-ci est plausible, et qu’il n’appartient pas au juge des référés d’examiner au fond la réunion des conditions de l’exonération.
Dans le premier cas (article 808), l’absence de saisine du principal permet au juge de faire abstraction des droits subjectifs des parties, étant rappelé que, en tout état de cause, sa décision n’aura qu’un caractère provisoire, alors que dans le second (809 alinéa 2), cette absence de saisine du principal l’empêche de statuer en présence d’une contestation sérieuse, précisément parce que le fait de trancher cette contestation sérieuse impliquerait qu’il soit saisi du principal.
Dans le premier cas (article 808), le juge des référés peut aller au-delà de ce que pourrait le juge du fond, alors que dans le second, c’est précisément l’inverse, le juge des référés étant limité par le fait qu’il n’est pas saisi du principal.
Pourquoi l’absence de saisine du principal a des effets opposés, quant au pouvoir du juge des référés, dans le cas de l’article 808 et dans celui de l’article 809 alinéa 2 ?
Cette contradiction apparente est une conséquence de la réforme de 1973 (décret du 17 décembre 1973) par laquelle la juridiction des référés, en recevant le droit d’ordonner une provision, s’est rapprochée des juridictions du fond.
Lorsque l’article 484 du code de procédure civile qualifie l’ordonnance de référé de « décision provisoire », cela signifie que la décision ordonne juste des mesures concrètes que le juge croit opportunes, mais, sans pour autant fixer les droits des plaideurs.
Avant cette réforme de 1973, la jurisprudence avait toujours refusé au juge des référés le pouvoir d’accorder une provision à valoir sur une éventuelle condamnation. Il était considéré qu’il n’appartenait pas à la juridiction des référés d’anticiper sur la décision définitive en accordant par avance le bénéfice d’une éventuelle condamnation.
La formulation de l’article 809 alinéa 2 donne l’impression que le juge des référés est saisi des obligations incontestables. Or, statuer sur les obligations des parties, même les plus incontestables, implique nécessairement d’appréhender le principal dont le juge des référés n’est pas ou est censé ne pas être saisi.
Il est néanmoins considéré que, dans la mesure où l’on est en présence d’une obligation qui n’est pas sérieusement contestée, le règlement du litige ne dépend pas d’un examen au fond de l’affaire et relève donc bien des pouvoirs du juge des référés.
Il a ainsi été jugé (chambre commerciale 11 mars 2014 n° 13-13304) que « dès lors que le principe même de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, une provision peut être allouée, même si le montant de l’obligation est encore sujet à controverse ».
D’une manière générale, lorsque le défendeur prétend que le cas n’est pas un cas d’urgence (808) ou un cas de trouble manifestement illicite (809 al 1), ou lorsqu’il oppose une contestation sérieuse à l’existence de l’obligation alléguée par le demandeur (809 al 2) à quelle catégorie procédurale appartient le moyen de défense qu’il soulève ?
Ce défendeur ne conteste pas le fond des prétentions de son adversaire.
Sur le plan de la technique procédurale, le moyen de défense qu’il oppose alors n’est donc pas une défense au fond au sens des articles 71 et 72 du code de procédure civile, mais un moyen de défense procédural.
C’est ce qui explique que lorsque le juge des référés estime que la contestation est sérieuse, il se contente de dire « qu’il n’y a pas lieu à référé » et invite les parties à « mieux se pourvoir », c'est-à-dire à aller devant le juge du principal.
Le code de procédure civile connaît deux types moyens de défense procéduraux : les fins de non-recevoir et les exceptions de procédure dont les exceptions d’incompétence.
Pour la cour de cassation (3ème chambre civile 19 mars 1986 n° 84-17.524 Bulletin civil III n° 34), « le moyen de défense tiré de l’existence d’une contestation sérieuse ne constitue pas une exception d’incompétence ; par suite, il n’a pas à être présenté avant toute défense au fond ».
L’exclusion de la qualification d’exception d’incompétence est logique puisque, en instituant un juge des référés devant la plupart des juridictions, le législateur a attribué à ce juge compétence pour les mêmes matières que la juridiction du fond à laquelle il est rattaché.
Il a en revanche été jugé que constitue une contestation sérieuse faisant obstacle à l’exercice des pouvoirs du juge des référés, l’examen d’un litige portant tant sur l’interprétation des clauses du contrat de bail que sur les conséquences de la délivrance d’un permis de construire (cour de cassation 3ème chambre civile 10 février 1988 Bulletin civil III n° 34).
La cour de cassation rattache donc l’absence de contestation sérieuse au sens des articles précités à la notion de pouvoir de juger et non à celle de compétence.
Par analogie, il peut être fait référence à la contestation sérieuse élevée devant le juge commissaire lorsqu’il a à statuer sur l’admission d’une créance déclarée dans le cadre d’une procédure collective.
L’article R 624-5 du code de commerce qui dispose en son premier alinéa :
« Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte ».
Une alternative étant posée par le texte entre la décision d’incompétence et celle par laquelle il est constaté l’existence d’une contestation sérieuse, ce texte écarte indirectement la qualification d’exception d’incompétence.
L’intérêt de cette qualification n’est pas que théorique. Ainsi entre autres conséquences, la décision par laquelle un juge des référés dit « n’y avoir lieu à référé » correspond à un rejet de la demande. Dès lors, l’interruption de la prescription par la demande en justice est non avenue (article 2243 du code civil : « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée »), ce qui ne serait pas le cas en présence d’une décision d’incompétence (article 2241 du code civil : « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure »).
Certains auteurs qualifient ce moyen de défense de fin de non-recevoir (voir notamment Serge Guinchard précis de procédure civile Dalloz), fin de non-recevoir que l’article 122 du code de procédure civile définit comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond ».
Cette qualification nous semble poser difficulté puisque le problème posé n’est pas de savoir si la prétention est recevable ou non.
D’ailleurs, les conditions de recevabilité des prétentions, tenant notamment à la qualité ou à l’intérêt à agir, valent aussi bien devant les juridictions du fond que devant le juge des référés.
Or, le problème est celui des limites de la saisine du juge ; il ne s’agit pas d’un défaut de droit d’agir au sens de l’article 122 du code de procédure civile.
Ce que conteste le plaideur qui soulève, dans les cas d’application des articles 808 et 809 alinéa 2, l’existence d’une contestation sérieuse, ou dans le cas du premier alinéa de l’article 809 l’absence de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, c’est la saisine du juge.
Il est soutenu que le juge saisi doit ignorer certains aspects du litige (mesures se heurtant à une contestation sérieuse si l’article 808 est invoqué) ou bien, au contraire, qu’il ne doit pas ignorer certains éléments en rapport avec l’affaire (obligation sérieusement contestable si l’article 809 alinéa 2 est invoqué).
Il nous faut donc conclure que l’existence d’une contestation sérieuse en matière de référé est un moyen de défense innomé, innomé en ce sens que, à la différence de la défense au fond, de la fin de non-recevoir ou de l’exception d’incompétence, aucune réglementation ne lui est consacrée.- Une notion équivoque
- Un moyen de défense innomé
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