CHANGEMENT DU REGIME DE LA PREUVE DES HEURES SUPPLEMENTAIRES
Publié le :
01/12/2021
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Par deux arrêts récents (cour de cassation chambre sociale 18 mars 2020 n° 18-10919 et chambre sociale 27 janvier 2021 n° 17-31046), la cour de cassation a modifié sa jurisprudence portant sur la preuve des heures supplémentaires.
Rappelons que le régime légal de preuve des heures supplémentaires est posé par l’article L 3171-4 du code du travail qui dispose : « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».
Ce texte résulte, pour ses deux premiers alinéas, d’une loi du 31 décembre 1992 qui est venu déroger, en matière de preuve des heures supplémentaires, au droit commun de la charge de la preuve (article 1315 du code civil devenu en 2016 l’article 1353) en créant un régime de preuve partagée sur le sujet.
Sur la base de ce texte, la jurisprudence avait posé pour principe que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties et que le juge ne peut donc, pour rejeter une demande en paiement d’heures supplémentaires, se fonder exclusivement sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié. En vertu du principe, le juge doit examiner les éléments que l’employeur est tenu de lui fournir, de nature à justifier les horaires effectivement réalisés (cour de cassation chambre sociale 3 juillet 1996 n° 93-41645).
EN 2004, la jurisprudence a cru devoir ajouter à ce principe correspondant au régime de preuve partagée prévu par la loi une obligation préalable et complémentaire pesant sur le salarié d’étayer sa demande en paiement d’heures supplémentaire avant même l’application de la règle de partage de preuve entre les parties (cour de cassation chambre sociale 25 février 2004 n° 01-4544).
En vertu de ce principe, il appartenait au salarié d’étayer sa demande, c’est-à-dire de produire des éléments destinés, non à en prouver le bien-fondé, mais à la rendre crédible, ce qui revenait à ajouter au système légal de preuve une règle de fond complémentaire et préalable.
Par les deux arrêts précités des 18 mars 2020 et 27 janvier 2021, la cour de cassation a abandonné cette exigence d’étaiement préalable par le salarié de sa demande et revient ainsi à une stricte application du régime légal de preuve partagée en matière d’heures supplémentaires.
Avec l’arrêt du 18 mars 2020, la cour indique, concernant l’article L 3171-4 du code du travail, qu’« il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».
Le salarié ne doit donc plus présenter des éléments étayant sa demande, mais, seulement des éléments assez précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La note explicative sous l’arrêt du 27 janvier fait bien la différence entre les deux règles en indiquant que « cette précision (attendue du salarié) n’est ni de la même nature, ni de la même intensité que celle qui pèse par ailleurs sur l’employeur dans le cadre de son obligation de contrôle de la durée du travail. Elle ne peut avoir pour effet de faire peser la charge de la preuve des heures accomplies sur le seul salarié ».
Le salarié doit présenter des éléments assez précis pour permettre l’organisation d’un débat judiciaire sans jamais atteindre une exigence de précision qui pourrait avoir pour effet de transférer la charge de la preuve sur le salarié, étant précisé, ce qui n’est pas sans importance, qu’il est indifférent que ces éléments aient été établis par le salarié lui-même.
La règle est donc désormais la suivante : dès lors qu’une demande présentée par un salarié en paiement d’heures supplémentaires est assortie d’éléments suffisamment clairs pour en déterminer l’objet au regard des éléments factuels allégués et produits et permettre ainsi à l’employeur d’y répondre par la production de ses propres éléments, il en résulte que le salarié a rempli son obligation d’alléguer les faits nécessaires au succès de ses prétentions conformément aux dispositions de l’article 6 du code de procédure civile, et qu’il appartient alors à l’employeur, responsable du contrôle des heures de travail effectuées aux termes notamment des articles L 3171-2 et L 3171-3 du code du travail, de répondre en produisant ses propres éléments.
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